« J’AI RÉUSSI À RENDRE MA MÈRE IMMORTELLE… »
Avec l’aide de ses sœurs, Danielle a créé une fondation qui soutient les nombreuses causes sociales défendues par sa mère tout au long de sa vie.
C’est par un blême matin de printemps, en mars 2004, que ma mère est décédée, entourée de sa famille et de quelques amis proches. Une série d’infarctus ont eu raison de son cœur fatigué. Normal, me disait-on, elle avait 89 ans, ce qui est un âge acceptable pour mourir… Il est vrai que depuis quelques années, sa santé déclinait. Il m’arrivait de me dire qu’un jour, elle ne serait plus là. Je m’y préparais. Mais peut-on vraiment se préparer à perdre quelqu’un qu’on aime? Son départ m’a atterrée.
J’ai eu la chance d’avoir une relation très riche avec elle. Je suis née alors qu’elle avait 42 ans. Cela faisait 9 ans qu’elle n’avait pas eu d’enfant. J’ai été sa cinquième fille. Évidemment, elle nous adorait toutes, mais moi, j’étais la plus petite, son bébé, sa dernière, avec tout ce que cela implique. Non, nos rapports n’ont pas toujours été sans vague ni sans histoire pour autant… Ma mère était une femme envahissante et exigeante, ce qui m’a forcée à établir certaines limites. Malgré tout, l’amour, le respect et l’authenticité étaient au cœur de tous nos échanges, même si parfois, ils étaient houleux!
J’ai toujours admiré ma mère. Elle est née en 1914, à cette époque où les femmes n’avaient d’autres choix que de se consacrer à élever leurs nombreux enfants et à prendre soin de leur mari et de la maison familiale. À 22 ans, elle a eu sa première fille. Après un an à la maison, même si la maternité la comblait, elle tournait en rond. Il lui fallait sortir, bouger, rencontrer des gens! C’est à ce moment-là qu’elle s’est trouvé une vocation : le bénévolat. Tout de suite, elle s’est investie corps et âme dans la lutte contre la pauvreté et dans la défense des droits des femmes, des enfants et des détenus. Ses engagements sociaux n’avaient rien d’un passe-temps. Elle était éprise de justice sociale. Bénévole pour la Croix-Rouge, pour Centraide, pour Tel-Aide, pour le Rallye du tiers-monde, engagée à la Fédération des femmes comme en politique, elle était de tous les combats, au front. La peur? Elle ne semblait pas connaître. Ou du moins, s’il lui arrivait de la ressentir, elle la domptait immédiatement. Avec elle, au diable l’immobilisme! Il fallait que tout bouge, que les causes qu’elles défendaient avancent et se déploient. Ma mère était une battante. Une vraie.
Féministe avant son temps, elle disait toujours : « Si je veux que mes 5 filles aient leur place dans la société, je dois commencer par prendre la mienne! » Elle nous a enseigné à être fières d’être des femmes. Nous sentions à quel point elle nous aimait et nous admirait, toute et chacune, pour ce que nous étions. Je crois que sa plus grande marque d’amour, à mon égard, a été son appui inconditionnel. Peu importe les choix que je faisais, les chemins que j’empruntais, je savais qu’elle serait derrière moi. Il m’est arrivé d’apprendre qu’elle s’inquiétait pour moi, mais elle se gardait bien de me le dire. Son positivisme et sa confiance m’ont donné de la force, du courage. Je réalise combien je suis chanceuse d’avoir été aimée de cette façon. Aujourd’hui, je ne doute pas que quelqu’un puisse m’aimer, pas plus que je n’hésite à m’engager et à donner de l’amour à mon tour, sans condition.
Pour toutes ces raisons, la mort de ma mère a créé un immense vide dans ma vie. Et en moi. Dans les secondes qui ont suivi son dernier souffle, je cherchais déjà comment lui rendre hommage. Je me promettais de consolider tous les enseignements qu’elle m’avait donnés au cours de sa vie et j’étais déterminée à lui organiser des funérailles dignes de son nom. Je tenais à saluer sa vie sociale engagée et la femme avant-gardiste qu’elle avait su être. Plusieurs petits gestes symboliques ont alors été posés. D’abord, mes soeurs et moi avons porté nous-mêmes son cercueil jusqu’à son dernier repos. Aussi, lors de la messe, j’ai invité les gens à l’ovationner pour l’ensemble de son œuvre sociale : il fallait voir les quelque 200 personnes présentes se lever spontanément et applaudir avec émotion pendant plus de 5 minutes. Jamais je n’oublierai… J’aurais tout donné pour que maman entende, pour qu’elle sache combien elle était importante et appréciée.
Mais le geste le plus significatif qui a été posé pour perpétuer sa mémoire a été la création d’un fonds spécial. Mes sœurs et moi avons décidé que ce fond porterait le nom de notre mère, Françoise Stanton. Nous nous sommes alors tournées vers Centraide. La marche à suivre est fort simple. Il suffit de faire un investissement d’un minimum de 5 000 $ qui est aussitôt placé. Ensuite, sur une base annuelle, les revenus d’intérêt générés par ce placement sont redistribués dans différentes causes sociales prédéterminées. Évidemment, plus l’investissement est important, plus les dons sont élevés. Notre première collecte de fonds s’est faite au salon funéraire. Nous avons demandé aux gens de ne pas envoyer de fleurs, leur soulignant que nous préférions qu’ils fassent un don à la nouvelle Fondation. Nous prenions soin d’expliquer, aussi souvent que possible, à quoi servirait cet argent. La réponse a été excellente.
Dans les dernières années de sa vie, ma mère donnait beaucoup de temps dans l’aide aux devoirs. Elle offrait du soutien aux enfants qui éprouvaient des difficultés d’apprentissage. À la fin des classes, elle les aidait à faire leurs devoirs et leurs leçons. Notre premier don est allé donc à cette cause par le truchement de la Maison St-Roch. Cet établissement encadre des enfants de milieu défavorisé. En plus d’offrir de l’aide aux devoirs, on y organise notamment des ateliers de création pour ces jeunes. Notre don a servi à acheter des costumes pour les pièces de théâtre et du matériel d’arts plastiques. À la Maison, plus de 80 % de la clientèle est immigrante. Des enfants déracinés, qui doivent souvent apprendre une nouvelle langue, comprendre notre société, réussir à s’intégrer. À travers les ateliers de création, ils arrivent à s’exprimer et, surtout, à se valoriser. Je suis tellement contente d’avoir pu contribuer, ne serait-ce qu’un tout petit peu, à leur épanouissement.
Nous avons ensuite soutenu avec fierté Mères et monde, un organisme qui travaille à améliorer de mille façons (logement, retour aux études…) les conditions de vie des jeunes mères de 16 à 30 ans. Je n’ai aucun doute : maman aurait approuvé à 100 % notre choix de soutenir ces femmes!
J’ai pris la responsabilité de gérer le fonds que nous avons créé en sa mémoire. Je ne m’étais jamais impliquée bénévolement, ma carrière et mes obligations prenaient tout mon temps. D’ailleurs, la capacité de ma mère d’être si disponible pour tout le monde m’a toujours fascinée! Ses nombreux engagements ne l’empêchaient pas d’être là pour sa famille. Cela peut sembler étrange, mais elle donnait tellement, que j’avais l’impression de le faire à travers elle. Je réalise que ce n’était qu’une impression! Aujourd’hui, je goûte réellement la satisfaction que le don procure. J’ai tellement reçu dans ma vie, c’est à mon tour de donner.
Il y a maintenant 13 ans que ma mère nous a quittés. Il ne se passe pas une seule journée sans que j’aie une pensée pour elle. Et je comprends beaucoup mieux ce qui la motivait à en faire toujours plus : plus on donne, plus on reçoit. Et plus on reçoit, plus on a envie de redonner. C’est si simple, mais si vrai…
Danielle Stanton, créatrice du fonds; Stéphanie, utilisatrice des services de Mères et monde; Diane Thibault, coordonnatrice de l’organisme, et Michèle Stanton, créatrice du fonds.
Diane Thibault, coordonnatrice de Mères et monde; Régis Mathieu, conjoint de Julie Staton; Danielle Stanton et Julie Stanton, créatrice du fonds.