La solidarité beauceronne à l’état pur
Nicole Jacques ne compte plus les heures qu’elle passe chez Moisson Beauce, c’est parfois une quinzaine d’heures par jour. La directrice générale de l’organisme fait des pieds et des mains pour s’assurer que les denrées sont suffisantes et que l’aide alimentaire est acheminée à tous les gens dans le besoin. Et ils sont nombreux depuis que le coronavirus est entré dans nos vies. La banque alimentaire a déboursé 100 000$ en dépenses non prévues depuis le début de la crise. Grâce au soutien financier du Fonds d’urgence de Centraide, elle a pu éponger la moitié de cette facture. Portrait d’une battante.
Les demandes d’aide alimentaire affluent de partout chez Moisson Beauce. En plus de fournir des denrées aux organismes communautaires dans Chaudière-Appalaches et la MRC du Granit, une trentaine d’appels d’urgence du CLSC entrent chaque jour.
Violence conjugale, ruptures amoureuses, enfants de la DPJ, jeunes de 18 ans qui ne peuvent plus compter sur l’aide de leurs familles d’accueil, la détresse est partout. Le besoin de se nourrir est vital en ces temps de confinement. Avant même que la crise ne commence, Moisson Beauce nourrissait 11 669 personnes chaque mois.
En plus des demandent d’aide qui ont triplé et du téléphone qui ne dérougit pas, Nicole Jacques doit se démener pour acheter certaines denrées. C’est que les dons reçus en aliments ont chuté dramatiquement.
Dépenses imprévues
Moisson Beauce a dû investir 80 000$ pour un approvisionnement massif, des frais supplémentaires qui n’étaient pas prévus au budget. Et certains produits de base sont plus difficiles à trouver que d’autres. Moisson Beauce a du mal à mettre la main sur des quantités importantes de pâtes alimentaires, de farine et de gruau.
Heureusement, le quotidien de Nicole Jacques est fait de petites victoires sur les aléas de la vie. « J’ai réussi à mettre la main sur du café et sur mille pots de beurre d’arachides, ce sont des denrées rares pour Moisson Beauce. J’étais tellement contente! »
La solidarité beauceronne
S’il y a un point positif à cette crise, selon la directrice générale, c’est qu’elle a vu naître de belles initiatives d’entraide. « Je peux vous dire que la solidarité beauceronne est au rendez-vous. Nous n’avons jamais manqué de bénévoles chez Moisson Beauce, on a même une liste de cent noms sur une liste d’attente. Pour nous, ç’a été une grande source de soulagement. »
Les restaurateurs ont eux aussi mis la main à la pâte. Ceux qui fermaient leurs portes ont offert leur main-d’oeuvre en cuisine pour leur donner un coup de main. D’autres qui demeuraient ouverts, comme le Rock Café, ont donné de bons petits plats pour les gens dans le besoin.
Il y a aussi le restaurant Chez Gérard qui leur a concocté deux mille pâtés avec les dons de la population. Même l’école de cuisine d’une commission scolaire leur a remis de grandes quantités de nourritures. Ce sont les employés du Rock Café qui sont venus dans les cuisines de Moisson Beauce pour l’apprêter.
Les gestes de solidarité se multiplient et sont beaux à voir, à un point tel que l’émission L’Épicerie, à Radio-Canada, a eu l’idée d’en faire un tournage.
Le Fonds d’urgence de Centraide, une bouée
Même si les bons samaritains sont nombreux, l’aspect financier est l’un des facteurs les plus préoccupants. En plus de défrayer 80 000$ supplémentaires pour des achats de denrées, Moisson Beauce a dû embaucher deux nouveaux employés pour répondre aux demandes croissantes, payer une firme pour la désinfection quotidienne des cuisines et débourser plus d’argent pour les coûts de transport des aliments qui proviennent des grands centres.
Au final, c’est 100 000$ en frais supplémentaires qui ont été dépensés, et la crise est loin d’être terminée. « On doit faire ces achats massifs même quand on n’a pas l’argent pour le faire. On ne peut pas laisser les gens manquer de nourriture. On téléphone à droite et à gauche pour avoir de l’aide. »
L’aide de Centraide est arrivée juste à temps. Grâce au Fonds d’urgence mis sur pied par l’organisation philanthropique, Moisson Beauce a pu obtenir 49 000$, une aide tombée du ciel pour la banque alimentaire. « C’est très important pour nous cet argent, ç’a été une grande bouffée d’air, c’était un gros poids de moins sur nos épaules. »
La force du réseau communautaire
Celle qui dirige Moisson Beauce est bien consciente de l’importance du rôle de son organisme en ces temps de pandémie, pas seulement pour l’aide alimentaire. « Étant donné la renommée de notre organisme, les gens se tournent vers nous immédiatement, et les gens ont grandement besoin d’être rassurés. »
Les pratiques ont dû être ajustées puisqu’aucun employé n’est formé pour faire des interventions psychosociales. Nicole Jacques s’est donc servie de la force du réseau communautaire pour aller chercher du soutien. Elle s’est tournée vers la Maison de la Famille Beauce-Sartigan et l’Association des Familles monoparentales et recomposées La Chaudière, deux organismes qui sont aussi soutenus par Centraide, ainsi que la Maison des jeunes de Saint-Georges. Les intervenants de ces trois organismes prennent le relais des appels qui nécessitent une aide psychologique.
Des ententes similaires ont été faites avec les organismes des autres secteurs desservis par Moisson Beauce, soit Bellechasse, Appalaches, Robert-Cliche et Nouvelle-Beauce.
Son autre souci, c’était celui de rejoindre les aînés de plus de 70 ans qui se retrouvaient en rupture de service dans les petites paroisses, en raison de la fermeture de nombreux organismes communautaires.
Encore une fois, elle s’est servie de la force du réseau pour arriver à leur acheminer des denrées. Cette fois, elle a fait appel aux élus des MRC comme courroie de transmission. De petits comités de bénévoles se sont ensuite formés pour prendre le relais.
L’importance des banques alimentaires
Pour Nicole Jacques, il est clair que la situation actuelle met en lumière l’aide essentielle fournie par les banques alimentaires, un rôle qui n’est pas toujours reconnu à sa juste valeur selon elle. « Le gouvernement nous donne juste 9% de notre budget d’opération et c’est toujours une bataille pour nous. Pour notre filet social, quand tout s’arrête, l’aide alimentaire, c’est la base, les gens ont besoin de manger. »
À 62 ans, alors qu’elle est aux commandes de Moisson Beauce depuis 12 ans, elle voit l’avenir d’un bon oeil. «On travaille très fort et nous sentons vraiment la reconnaissance du milieu communautaire, de nos bailleurs de fonds et du gouvernement. C’est un charmant clin d’oeil pour nous qui sommes dans l’ombre depuis si longtemps. Aujourd’hui, le gouvernement Legault ose dire qu’il y a de l’argent pour les banques alimentaires, c’est un grand pas pour nous. Quand la situation sera revenue à la normale, j’espère que le gouvernement va prendre conscience de l’importance du réseau des banques alimentaires. C’est mon arc-en-ciel de rêve à moi.»
Passer à travers la crise
Alors que la crise sévit toujours, la directrice générale et son équipe mettent les bouchées doubles pour arriver à desservir tout le monde. Chaque jour, Nicole Jacques entre au travail à 6h le matin et quitte l’organisme autour de 18h. Et son travail n’est pas terminé pour autant. Une fois rendue à la maison, elle fait des recherches sur le web et des téléphones pour dénicher les denrées manquantes.
Heureusement, iI y a des anges gardiens qui veillent sur elle pour qu’elle tienne le coup. «Je puise mon énergie à travers les petits miracles que nous vivons chaque jour chez Moisson. Il y a des gens merveilleux qui font des dons, je reçois des courriels de soutien, il y a même mon voisin qui me laisse parfois une lasagne sur le perron. Et il y a mon conjoint qui est si présent à la maison et qui voit à tout.»
Il y a aussi les dimanches en famille qui lui donnent de l’énergie. Elle prend l’apéro virtuel en compagnie de ses trois enfants et de ses quatre petits-enfants. Puis elle retourne au boulot le lendemain, pour s’assurer que tout le monde mange à sa faim.
Merci Nicole de veiller à ce que notre communauté se porte bien.