Dédier sa vie au communautaire
Avec la crise de la COVID-19 qui sévit et le nombre de bénévoles qui est en baisse, les temps sont durs pour les organismes communautaires. Plusieurs ont commencé à restreindre leurs activités et à fermer leurs portes. Même si elle est d’un naturel positif, la coordonnatrice générale de la Clinique SPOT, Nathalie Bouchard, s’inquiète des répercussions. Les soins dispensés aux personnes en situation de désaffiliation et de marginalisation se font à même ces organismes. Avec son équipe, elle compte tout faire pour maintenir ces services essentiels. Portrait d’une femme dévouée qui œuvre dans le communautaire depuis plus de vingt ans.
Nathalie Bouchard est l’un des visages de la Clinique SPOT qui a vu le jour il y a six ans en Basse-Ville de Québec. Elle est l’un des membres fondateurs de la Clinique communautaire de santé et d’enseignement. La pandémie liée au coronavirus a un impact direct sur les gens qu’ils aident à la Clinique.
« C’est une période très intense. Notre équipe soignante squatte différents milieux communautaires, comme le Relais d’espérance, la Maison Revivre et YWCA Québec, pour donner des soins-services. Mais ces trois organismes viennent de fermer leurs portes temporairement en raison du coronavirus. On ne peut donc plus offrir de soins dans leurs locaux. C’est certain que le niveau d’anxiété monte et que ça a un impact majeur pour nous. »
Aider les plus marginaux
Mais Nathalie Bouchard refuse de baisser les bras, ce serait bien mal la connaître. En collaboration avec des organismes communautaires, elle met tout en oeuvre pour trouver des solutions et maintenir le plus possible les soins les plus pressants. Il faut savoir qu’une multitude de professionnels donnent de leur temps à la Clinique mobile SPOT.
Infirmières, médecins, dentistes, massothérapeutes, physiothérapeutes, psychologues, pairs aidants, tous ces intervenants dispensent des soins gratuits à des personnes en situation d’itinérance, des personnes judiciarisées ou utilisatrices de drogues, des prostituées ou des femmes victimes de violence conjugale. Des gens qui se sentent souvent jugés, incompris et ne trouvent plus leur place dans le réseau de la santé. Certains n’ont même plus de carte d’assurance-maladie.
La bachelière en organisation communautaire a une vaste expérience sur le terrain. Avant d’être au service de la Clinique SPOT, elle a travaillé pendant dix ans au Centre résidentiel et communautaire Jacques-Cartier, puis chez Bénévoles d’expertise, deux organismes soutenus par Centraide Québec et Chaudière-Appalaches. Des expériences qui lui ont fait voir à quel point les besoins les plus élémentaires, comme les soins de santé pour les personnes les plus vulnérables, ne sont pas toujours adéquats.
« Comme d’autres, j’avais ce sentiment d’impuissance quand je voyais des gens vulnérables qui n’avaient pas de médecins de famille et qui ne voulaient pas aller au CLSC ou au sans rendez-vous. On ne savait pas à qui les référer, on les accompagnait à l’Urgence, sachant que ce n’était pas approprié. Je voyais aussi les problèmes d’accès pour les jeunes marginalisés. Avec d’autres, on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose pour eux. »
S’appuyer sur des pairs aidants
C’est ainsi qu’est arrivé SPOT dans sa vie. Elle a été approchée en 2013 pour être chargée de projets. Grâce au travail acharné de plusieurs intervenants du milieu communautaire, du CIUSSS de la Capitale-Nationale, de l’Université Laval et grâce à l’aide précieuse de Centraide Québec et Chaudière-Appalaches, qui a été l’un des premiers bailleurs de fonds à y croire, la Clinique communautaire de santé et d’enseignement a vu le jour en 2014. Même si la ressource est encore toute jeune, les réalisations sont grandes. Nathalie Bouchard est particulièrement fière de pouvoir compter sur des pairs aidants. Ce sont des anciens utilisateurs de la Clinique qui viennent en aide à d’autres utilisateurs.
Jocelyn est l’un d’entre eux. Il a connu des moments difficiles alors qu’il était camionneur. Sa vie est partie à la dérive à la suite de douleurs chroniques liées à son travail. L’alcool et les médicaments pour soulager son mal n’ont fait qu’empirer les choses. Il a tout perdu, son travail et son réseau. Mais avec l’aide des intervenants de la Clinique SPOT et de la Maison Revivre, il s’est reconstruit petit à petit. « C’est tellement extraordinaire de pouvoir compter sur des pairs aidants comme Jocelyn, Lise et Maxime. Le lien de confiance qu’ils développent avec les personnes venant pour des soins est tellement extraordinaire. »
Des intervenants humains
L’organisme communautaire peut aussi compter sur l’apport essentiel de nombreux intervenants au grand coeur. Nathalie Bouchard ne tarit pas d’éloges à leur égard. « Il y a des dentistes qui prennent de leur temps dans leur clinique privée pour venir faire du bénévolat chez nous. Il y a des infirmières du CIUSSS de la Capitale-Nationale qui, avec des médecins, peuvent passer une heure avec un patient s’il le faut. »
Les utilisateurs de SPOT en sont reconnaissants. La coordonnatrice se rappelle en riant d’une patiente qui a amené des chocolats au dentiste de SPOT pour le remercier. « Ce qu’on entend le plus chez nous, c’est vous êtes donc ben fins. Ça va bien au-delà de la seule prestation de soins, c’est l’humanité dans les soins. »
Pour le moment, six organismes affiliés à SPOT accueillent les divers intervenants de la Clinique dans leurs locaux. Il s’agit de l’Archipel d’entraide, la Maison Dauphine, le Relais d’espérance, la Maison Revivre, Point de repères et YWCA Québec. Un septième s’ajoutera sous peu au Centre d’amitié autochtone de Québec.
Dans tous ces lieux, les soins sont offerts en toute simplicité, sans jugement, dans une grande proximité relationnelle. « Par exemple, des infirmières et des psychologues de SPOT mangent à la soupe populaire à la Maison Revivre avant de donner des soins. Il y a trois ingrédients importants pour nous: le temps de qualité, l’humanité et la relation sincère. »
Dans ses rêves les plus fous
La coordonnatrice de SPOT sait bien qu’elle est choyée de pouvoir s’appuyer sur des intervenants aussi investis. Même si elle est bien consciente des limites du réseau actuel de la santé, elle rêve tout haut. « Je souhaite que nous ayons accès à des soins de santé plus humains pour tout le monde. Les gens sont fins et compétents dans le réseau, mais souvent le système ne leur permet pas de prendre le temps. »
Dans un monde idéal, les tracas financiers ne feraient pas partie de son quotidien et SPOT pourrait compter sur l’aide du gouvernement. Elle doit jongler avec un maigre budget annuel de 220 000$, dont le quart provient de Centraide.
SPOT bénéficie aussi d’une très belle collaboration avec le CIUSSS pour l’octroi de ressources infirmières et un certain soutien financier pour ses frais de bureau. La Faculté de médecine de l’Université Laval est aussi un fidèle partenaire de la première heure tout comme Info-Data qui fournit l’incontournable plateforme pour le dossier médical électronique.
Pour le reste, la Clinique compose avec les dons de fondations privées et les dons individuels. « L’argent, c’est un puzzle constant, c’est un stress 365 jours par année. On n’est pas une cause cute, on est underground, c’est difficile d’obtenir du financement. »
Que lui souhaiter alors? Sa réponse est sans équivoque. « Dans le meilleur des mondes, SPOT n’existerait plus. Ça signifierait que les personnes désaffiliées et marginalisées trouveraient une approche de proximité dans le réseau de santé qui serait adaptée à leur réalité. En attendant, on a notre rôle à jouer. »
Un rôle qui va bien plus loin que la prestation de soins individuels, même s’il est majeur. La Clinique est aussi un lieu formidable de stages pour les étudiants qui ont la fibre communautaire et un milieu de recherche pour la transformation des pratiques en soins de santé.
La résilience des combattants
Nathalie Bouchard fait partie de ces personnes inspirantes que nous côtoyons chez Centraide Québec et Chaudière-Appalaches. Ses témoignages devant nos donateurs sont toujours marquants et percutants. « Je suis devenue une meilleure personne en travaillant dans le communautaire. Je crois au potentiel des personnes à aller mieux, il faut y croire sincèrement. Nous voyons parfois de grandes souffrances, mais il ne faut pas seulement voir la maladie. Il y a une formidable force de résilience chez les gens, on voit des combattants. »
Il n’y a aucun doute, Nathalie Bouchard est au bon endroit à la Clinique SPOT. Avec son large sourire et son énergie débordante, elle poursuit son chemin, aux côtés des étudiants, des intervenants communautaires des professionnels d’expérience et des pairs aidants, afin que les personnes marginalisées aient droit aux soins de santé qu’elles méritent.