Le coût de la vie est un sujet d’actualité depuis quelques mois. Les prix des aliments, des logements, des transports ont grimpé pour atteindre des records historiques. Dans ce contexte, l’Observatoire des inégalités, en partenariat avec Centraide Québec, Chaudière-Appalaches et Bas-Saint-Laurent, a tenu Lumière sur le coût de la vie. L’événement a réuni quelque 150 personnes des milieux universitaires, communautaires, politiques et de la société civile au Terminal de Croisière de Québec.
« Dans nos communautés, les sages et les aîné·e·s nous apprennent qu’il faut prendre des décisions pour les sept prochaines générations. Je crois que c’est une valeur que l’on peut partager entre Autochtones et allochtones. »
C’est ainsi que Tanya Sirois, directrice générale du Regroupement des centres d’amitié autochtones du Québec, a lancé cette deuxième édition de la journée d’études de l’Observatoire québécois des inégalités (OQI). Et cette vision à long terme, beaucoup d’expert·e·s et de participant·e·s l’ont abordée tout au long des quatre panels de l’événement.
Plongeons donc ensemble dans les discussions qui ont fait de cette journée d’étude une réussite.
Le coût de la vie a-t-il un prix?
Comment mesurons-nous le coût de la vie? L’indice des prix à la consommation (IPC), la mesure du panier de consommation (MPC), le PIB par habitant… Les indicateurs sont nombreux, mais chacun d’eux amène des résultats différents en ce qui a trait au seuil de pauvreté, a fait remarquer Geoffroy Boucher, économiste à l’OQI.
Les perspectives des personnes autochtones et immigrantes ont ensuite été abordées par Raphaël Laflamme, organisateur communautaire au Centre des travailleurs et travailleuses immigrants, et Tanya Sirois.
Bien d’autres points de vue auraient pu être entendus, mais cette analyse différenciée est importante aux yeux des trois panélistes. « J’ai hâte qu’on soit rendu à ne plus catégoriser, a lancé Tanya Sirois. Mais comment peut-on mettre en place des solutions si l’on ne connaît pas la base du problème? »
Selon Roberson Edouard, animateur de ce panel et chercheur senior à l’OQI, « le coût social est nettement plus élevé pour les personnes les plus pauvres. Si les politiques peuvent être à la base de ces inégalités, elles peuvent aussi être à la base des solutions. »
Sommes-nous égaux face à la hausse des prix?
Poser cette question, c’est y répondre, vous vous en doutez. Les cinq panélistes de cette deuxième discussion l’ont abordée au regard de leur expertise respective.
Céline Magontier, organisatrice communautaire au FRAPRU, voit le nombre d’appels concernant des évictions et des hausses de loyer abusives grimper de plus en plus.
« Les propriétaires ont le pouvoir présentement. Plusieurs locataires doivent s’excentrer pour trouver quelque chose respectant leur budget. Quand le droit au logement est compromis, on compromet aussi nos droits à la santé, à l’éducation, au transport, à l’alimentation. »
Expert de vécu invité sur le panel, Onil Dugay est l’un de ceux qui ont dû déménager en région éloignée pour être en mesure de payer son loyer. « Je ne comprends pas qu’un pays aussi riche que le nôtre ait encore des personnes qui ne mangent pas et qui vivent dans des logements inadéquats. »
Les communautés rurales font d’ailleurs face à de nombreuses situations dramatiques causées par la hausse du coût de la vie. Le professeur au Département de psychologie et travail social de l’UQAR et membre du Collectif de recherche participative sur la pauvreté en milieu rural, Jean-Yves Desgagnés, rappelle que les coûts de transport ont augmenté, ce qui crée beaucoup d’isolement. « Quand l’essence coûte trop cher, il est difficile de circuler entre les villes ou même de quitter son rang. »
L’intersectionnalité est importante à considérer quand nous nous demandons si nous sommes égaux et égales face à la hausse des prix actuelle selon Marianne-Sarah Saulnier, chercheuse à l’OQI. Les femmes doivent par exemple jongler davantage avec la charge mentale liée aux effets des changements climatiques, ici comme ailleurs dans le monde.
Alors que plusieurs d’entre nous se serrent la ceinture en raison de l’inflation actuelle, de grandes entreprises canadiennes ont fait des profits records jamais atteints au cours des 60 dernières années. C’est ce que dévoile une étude d’Oxfam mise en lumière lors du panel par Maïka Sondarjee, professeure adjointe à l’École de développement international et mondialisation de l’Université d’Ottawa.
« Selon les calculs du Economic Policy Institute, plus de la moitié de cette hausse de prix serait due à de plus grands profits, alors que l’augmentation des salaires n’y contribuerait que pour 8 %. En comparaison, entre 1979 et 2019, les profits ne contribuaient qu’à environ 11 % de l’augmentation des prix, et le prix du salariat pour 60 % », écrivait-elle dans Le Devoir le 27 janvier dernier.
Présente dans la salle, Vivan Labrie, chercheuse autonome, a bien résumé la réponse à la question d’origine. « 1 $ vaut beaucoup plus pour quelqu’un ayant recours à l’aide sociale que pour des milliardaires. »
Les mesures gouvernementales sont-elles à la hauteur?
Pierre-Antoine Harvey, chercheur associé à l’IRIS et économiste à la Centrale des syndicats du Québec, a dressé une brève liste des mesures mises en place par les gouvernements fédéral et provincial en lien avec l’inflation. Les quatre expert·e·s réuni·e·s pour la première discussion de l’après-midi sont d’avis que les gouvernements auraient dû aller plus loin sur bien des plans.
Edith St-Hilaire, directrice d’Espace finances, un organisme associé à Centraide, donne en exemple le cas du financement du milieu communautaire. « Les organismes demandent des rehaussements et l’indexation. Nous aussi nous subissons la hausse des coûts. Le gouvernement s’appuie sur les groupes communautaires, mais la reconnaissance financière ne suit pas. »
Voir plus loin que le prochain budget et saisir les opportunités qu’offre la croisée des chemins dans laquelle le pays est actuellement, c’est ce qu’aurait voulu constater Luc Belzile, économiste principal à l’Institut du Québec. « Québec et Ottawa n’ont pas mis beaucoup de fonds publics pour l’adaptation aux changements climatiques. Il serait temps de réfléchir à ce qu’on pourrait faire avec les obligations vertes du gouvernement autre qu’investir sur de grands projets d’infrastructure. »
L’économiste Julien Laflamme, de la Confédération des syndicats nationaux, est pour sa part d’avis que la situation actuelle n’est pas tenable à long terme. « Le marché du travail va bien, mais l’activité économique, non. C’est une dichotomie dans laquelle on ne pourra pas vivre longtemps. »
Quelles mesures pour améliorer durablement les conditions des personnes plus vulnérables?
Vous souvenez-vous des sept générations évoquées précédemment par Tanya Sirois?
Après avoir discuté des causes, des conséquences, des effets directs et indirects de la hausse du coût de la vie, l’Observatoire souhaitait clore la journée avec des pistes de solutions concrètes proposées par des panélistes d’exception.
La fiscalité était sur toutes les lèvres. Jean-Martin Aussant, vice-président principal d’Optimum Groupe financier, est certain qu’il s’agit du meilleur système de redistribution. « Si la fiscalité était efficace, on n’aurait pas besoin de philanthropes. Il pourrait y en avoir, mais ce ne serait pas essentiel comme à l’heure actuelle. »
Jon McPhedran Waitzer, membre du comité d’organisation de Ressources en mouvement, a d’ailleurs cité Martin Luther King Junior pour appuyer les propos de l’ancien député et chef de parti. « La philanthropie est louable, mais elle ne doit pas amener le philanthrope à négliger les circonstances d’injustices économiques qui la rendent nécessaire. »
Iel travaille avec Ressources en mouvement à « rassembler des jeunes qui bénéficient de privilèges matériels et de classe pour les encourager à devenir des leaders dans la redistribution équitable des terres, de la richesse et du pouvoir. »
« Il faut réclamer des impôts sur les profits excessifs, sur les héritages », appuie Jon McPhedran Waitzer.
Virginie Larivière, porte-parole au sein du Collectif pour un Québec sans pauvreté, croit fermement pour sa part que « chaque politique publique doit favoriser les revenus du quintile le plus pauvre. »
La lutte à la pauvreté ne peut se faire sans ceux et celles qui vivent en situation précaire, le consensus a bien été fait lors de cette heure de discussion. « Les gens sont mobilisés quand on les écoute. On doit apprendre à écouter », continue Marc De Koninck, président du Comité de développement social de Centraide Québec, Chaudière-Appalaches et Bas-Saint-Laurent.
L’honorable Michèle Audette, sénatrice indépendante et ancienne commissaire pour l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, est certaine que la lutte à la pauvreté et aux inégalités passe par l’éducation. « Et il faut que l’on enseigne les vraies histoires, de la petite enfance à l’université. Il faut coconstruire l’avenir avec les peuples autochtones. »
La mobilité est aussi un grand pan à ne pas négliger pour apporter des changements durables. « Quand tu es plus mobile, tu peux plus avoir une pleine participation sociale », explique Marc De Koninck.
Nous pouvons nous sentir tout petit·e·s face à tout ce qu’il y a à changer, mais nous pouvons aussi être rassuré·e·s : tant que nous aurons la capacité d’aller à la rencontre de l’autre, de nous informer, de nous mobiliser, de nous faire entendre, nous aurons la capacité de faire avancer les choses dans le but de réduire les inégalités et leurs effets.