Affronter ses démons grâce au Bercail
Jacques Cliche a vécu une période très sombre. Alors qu’il filait le parfait bonheur avec sa femme et sa fille, des ennuis financiers et des problèmes de santé mentale ont tout fait basculer. Il a trouvé refuge Au Bercail de Saint-Georges, un organisme soutenu par Centraide. Histoire d’un homme qui a affronté ses démons et qui en sort grandi aujourd’hui.
À l’aube de la cinquantaine, Jacques Cliche mène une vie sans histoire à Notre-Dame-des-Pins, en Beauce. L’intervenant en toxicomanie, qui était devenu consultant privé pour des programmes d’aide aux employés, se lance en affaires avec un ami. Il a tout pour être heureux. « J’avais une femme, une fille, une maison, un gros pick-up et des chevaux. »
La descente aux enfers
C’est à partir de 2014 que les problèmes commencent. Son entreprise bat de l’aile en raison d’une série de malchances. Au cours de la même période, il connaît un épisode d’épuisement.
« J’étais très fatigué, j’avais des up et des down, on ne comprenait pas trop ce qui se passait avec moi. Je suis allé consulter à l’hôpital en psychiatrie externe pendant quelques mois. Quand je suis ressorti, j’avais une médication pour des troubles bipolaires qui ne faisait pas effet. »
Toujours aux prises avec des problèmes de santé mentale, il met un terme à ses activités professionnelles. Il ferme son bureau de pratique privé et son entreprise de rampes d’aluminium qui bat de l’aile. « J’étais sans emploi, mais c’était correct comme ça, je n’avais pas l’énergie pour continuer à travailler de toute façon. »
L’alcool pour combler le vide
C’est à ce moment que ses vieux démons remontent à la surface. Jacques est alcoolique, mais abstinent depuis une vingtaine d’années. « Un matin, je suis parti avec mon camion. Je suis entré dans un bar pour prendre une bière pour me détendre. J’ai passé la journée au bar. Je suis revenu à la maison et j’ai dit à ma blonde je m’en vais. Je savais où je m’en allais avec l’alcool et je ne voulais pas lui faire vivre ça, ni à ma fille qui avait 12 ans à l’époque. »
Au bord du gouffre, il n’a pas d’endroit où loger. « Je ne savais pas où aller. Les premières semaines, je me suis loué un motel. Je buvais jour et nuit et j’étais complètement enfermé, tout seul à boire. Je sortais juste pour aller chercher de la bière. En 2015, j’ai échoué deux ivressomètres dans la même semaine. »
Il poursuit son chemin et sa descente aux enfers, sans jamais donner de nouvelle à sa conjointe et à sa fille, et déménage à Saint-Georges. Toujours sans travail, les jours se suivent et se ressemblent, avec l’alcool pour soulager ses souffrances.
« Je demeurais dans un petit logement avec d’autres gars qui consommaient de l’alcool et de la drogue. Les journées étaient axées sur la consommation. J’ai fait de nombreux séjours à l’hôpital. Je ne mangeais plus, je ne faisais que boire. »
Chercher de l’aide
Après des mois à faire des allers-retours entre l’hôpital et son logement, Jacques en a assez. Il se rend au Bercail de Saint-Georges, un organisme communautaire, qui offre de l’hébergement aux sans-abri et aux personnes qui ont des problèmes de santé mentale.
« Je demeurais pas loin du Bercail. Je suis allé à deux ou trois reprises, mais je repartais toujours. J’allais là pour parler, mais je n’étais pas prêt à me faire aider. Je retournais toujours vers la consommation. » Jusqu’au jour où il a compris qu’il ne pourrait s’en sortir seul.
« Il y a eu un événement fatal pour moi. J’étais dans mon logement et je filais mal, j’étais en manque. Je me suis présenté au Bercail et ils ont appelé l’ambulance. Le soir même, je suis tombé dans un delirium tremens, j’avais des hallucinations auditives et visuelles. C’est la première fois que ça m’arrivait et ça a duré trois jours. Quand je me suis réveillé, j’étais en contention, j’avais une forte médication et ma conjointe était au bout du lit. »
Il restera trois semaines à l’hôpital pour recevoir les soins adéquats liés à son sevrage.
Le Bercail, son refuge
Tout au long de son hospitalisation, une travailleuse sociale lui parle des bienfaits que pourrait avoir le Bercail pour l’aider dans son cheminement lorsqu’il sortira de l’hôpital.
« En lui parlant, j’ai fait le constat que je n’avais plus rien, plus de place où aller, plus d’argent, même plus d’auto. Je me suis dit que j’avais deux choix, aller au Bercail ou recommencer à consommer. J’ai choisi le Bercail, c’était en 2017. » Le volet hébergement de l’organisme communautaire permet d’accueillir une vingtaine de personnes comme Jacques.
Ce nouveau départ ne s’est pas fait sans heurts. « Ç’a été un bout très difficile. Au cours des deux années où j’ai bu sans arrêt, je me suis tellement coupé de mes émotions, je n’avais pas de peine, pas de joie. De me retrouver là à 51 ans, c’était dur pour mon orgueil, je me retrouvais avec des sans-abri, des gens avec des problèmes de santé mentale, du monde comme moi finalement. Ce sont les mêmes personnes que j’avais aidées dans le passé quand j’étais intervenant en toxicomanie. »
Mais il tient bon, malgré la tempête intérieure qui l’habite. « J’étais vraiment pucké psychologiquement, j’étais à terre, je ne pensais pas redevenir normal un jour. Je pensais au suicide au quotidien. Je ne croyais pas que j’allais être capable de recommencer à travailler, d’avoir une blonde ou même une auto. »
Petit à petit, il reprend confiance en lui, grâce aux bons soins des intervenants. « Ils m’ont accueilli comme j’étais, ils se sont occupés de moi, ils ont réglé toute la paperasse. Ils y sont allés à mon rythme. Il y a plein de gens et d’organismes qui gravitent autour du Bercail et c’était sécurisant pour moi. »
Retrouver sa joie de vivre
Au fil du temps, Jacques retrouve ses repères. « Ma joie de vivre est revenue tout doucement, le goût de vivre aussi. J’ai fait des démarches pour trouver un emploi. J’ai commencé à travailler comme commis à l’expédition alors que je vivais encore au Bercail. Ma conjointe s’est rapprochée, on s’est mis à se fréquenter. Je me suis acheté une voiture, et j’ai payé mes dettes. »
En 2019, il est complètement remis sur pied, autant dans son corps que dans sa tête. Il se sent prêt à voler de ses propres ailes et à quitter le Bercail, cette ressource qui a changé le cours de sa vie.
« Si je n’étais pas allé au Bercail, probablement que je serais mort d’une cirrhose ou je me serais suicidé. J’ai reçu un accueil inconditionnel. Ces gens-là sont tellement dévoués. Quand tu donnes de l’amour à quelqu’un que tu ne connais même pas. Finalement, ç’a été une expérience très positive. Ces gens-là ont cru en moi, beaucoup plus que moi. »
Revenir de loin
Aujourd’hui, Jacques vit des jours heureux. Il est revenu au domicile familial de Notre-Dame-des-Pins, avec les deux femmes de sa vie, sa conjointe et sa fille qui a maintenant 18 ans. Malgré la période sombre qu’il a traversée sans elles, elles n’ont jamais cessé d’espérer qu’ils redeviennent le conjoint et le père aimant qu’il était dans le passé.
De tout ce qu’il a vécu au cours des cinq dernières années, il retient la résilience. « Il m’en a fallu beaucoup de résilience pour passer à travers toutes ces épreuves. Mais ça en valait la peine puisqu’aujourd’hui je suis bien dans ma peau. J’ai appris à parler de mes émotions et à axer mes choix sur l’essentiel, comme être en bonne santé. Je n’ai plus besoin d’un gros pick-up pour être heureux. »
L’importance du communautaire
À l’heure où la pandémie perdure et que les besoins en itinérance et en santé mentale sont criants, Jacques estime que les organismes communautaires comme le Bercail sont essentiels dans notre communauté.
« Le Bercail n’offre pas juste un toit et de la nourriture. Si tu as besoin de parler, ils sont là, ils offrent un encadrement pour voler de tes propres ailes, ils offrent du transport à l’hôpital, de l’aide pour avoir droit aux allocations de chômage, de la médication. Les intervenants ont été mon ancrage, je les sentais toujours derrière moi. Ce sont des organismes comme ça qui amènent l’espoir à des gens qui n’ont plus d’espoir. C’est drôlement important de les soutenir financièrement comme le fait Centraide. »
Des liens pour la vie
Chaque semaine, Jacques passe faire son tour au Bercail, pas pour y recevoir des soins, juste pour conserver ses liens précieux. « Tout le monde est gentil au Bercail, du cuisinier à aller au gardien de nuit. J’ai tissé des liens serrés, de vrais liens d’amitié avec plusieurs intervenants. »
Jusqu’à ce jour, il n’a fait aucune rechute. Même s’il admet avoir peur de retomber dans l’abîme, il est confiant. « Oui j’ai peur parfois, mais ce n’est pas une peur paralysante. J’aime me rappeler d’où je viens et je demeure prudent vis-à-vis de l’alcool. Depuis que j’ai mis le pied au Bercail en 2017, je suis sobre. Je sais que je ne peux pas me permettre une seule gorgée. »
Son souhait le plus cher? À sa retraite, il aimerait retourner au Bercail, comme intervenant, pour aider d’autres personnes comme lui à s’en sortir. « Quand je raconte mon histoire comme je le fais avec vous aujourd’hui, je rends une infime partie de ce que j’ai reçu. »
Si vous avez aimé ce texte, cliquez ici pour lire un autre Visage Centraide