Aider les femmes à s’en sortir
Geneviève Quinty fait partie de ces femmes battantes qui pratiquent un métier peu commun. Elle se lève chaque matin pour défendre et accompagner les travailleuses du sexe de la région de Québec. La directrice du Projet intervention prostitution Québec (PIPQ) œuvre auprès de l’organisme soutenu par Centraide depuis 27 ans. Elle est devenue une référence dans le milieu et son expertise va bien au-delà des frontières du communautaire. À quelques jours de la Journée internationale des droits des femmes, rencontre avec une femme qui n’a pas froid aux yeux.
Geneviève Quinty n’a jamais connu les affres de la prostitution. Mais n’allez pas croire qu’elle ne sait pas de quoi elle parle lorsqu’elle planche sur des projets novateurs pour mieux outiller les travailleuses du sexe ou pour faire de la prévention dans les écoles. Son expérience sur le terrain comme travailleuse de rue lui a permis d’avoir un regard éclairé sur d’autres réalités.
Quant à son vécu personnel, il lui a ouvert les yeux sur la marginalisation et ses contrecoups. « On est deux mamans chez nous et nous avons une enfant autiste. Je vis un autre type de marginalité. Ce qui fait mal, c’est le regard des autres. Je suis bien placée pour comprendre les travailleuses du sexe. »
Une travailleuse de rue dans l’âme
Très tôt dans la vie, elle est en contact avec la relation d’aide. Issue d’une famille aimante, avec un père journaliste et une mère au foyer au grand cœur, il n’est pas rare qu’ils hébergent des collègues de travail ou des proches aux prises avec des problèmes de dépression ou de santé mentale. « Le plus bel héritage qu’ils m’ont laissé, c’est d’être proches des gens et d’être accueillants. »
À l’adolescence, elle côtoie aussi des travailleurs de rue. « J’ai traversé le désert, comme bien des ados de mon âge, mais je n’avais pas de problèmes majeurs. » Au fil du temps, elle se rend compte que c’est ce qu’elle veut faire dans la vie, aider les autres. « Je suis tombée en amour avec cette pratique-là de travail de rue, avec son caractère non traditionnel. »
Le début d’une belle aventure
À l’âge de 18 ans, elle suit une formation de travail de rue donnée par le Projet intervention prostitution Québec, le PIPQ. L’organisme communautaire, qui a pignon sur la rue des Oblats, dans le quartier Saint-Sauveur, vient en aide aux adultes, aux filles et aux garçons qui vivent de la prostitution ou dans une dynamique proche. Alors que le parcours scolaire traditionnel ne cadre pas bien avec elle, cette étape marque le début d’une belle aventure. Elle décroche ensuite un emploi à la Maison des jeunes de Charlesbourg, puis à la Maison des jeunes La Marginale.
Forte de ces deux expériences de travail, elle se sent prête à faire le grand saut au PIPQ. À 20 ans seulement, elle obtient un poste de travailleuse de rue. « Je me suis dit, oh boy, dans quoi je m’embarque! Les gens du PIPQ ont cru en moi. Même si je n’avais pas beaucoup de scolarité, ils m’ont formée. Et j’ai eu des collègues de travail qui m’ont beaucoup appris sur la prostitution. »
Aider les femmes en prison
En 1999, Geneviève Quinty a envie d’explorer de nouveaux horizons. Elle quitte le PIPQ pour travailler au Centre de détention de Québec comme contremaître en atelier dans le secteur féminin. « J’ai vu beaucoup de femmes que j’avais croisées dans la rue qui étaient en prison. » L’expérience sera de courte durée puisqu’elle n’est pas à l’aise avec ce cadre plus rigide.
Quelques semaines à peine après avoir quitté son emploi elle reprend du service au PIPQ. Cette fois, l’organisme communautaire a besoin d’une personne comme elle pour mettre sur pied un nouveau projet avec l’équipe de prévention. Il s’agit de réconcilier les résidents du quartier Saint-Sauveur avec les travailleuses du sexe.
« Il y a eu l’affaire Scorpion en 2002. On s’est dit qu’il fallait modifier notre façon de faire en prévention. On a donc monté un nouvel atelier et c’est à ce moment que je me suis émancipée. Je me suis rendu compte que j’aimais prendre la parole et que j’aimais livrer du contenu aux gens. »
À la tête du PIPQ
À 33 ans, elle prend les rênes du PIPQ, un poste qu’elle occupe pour assurer l’intérim du coordonnateur qui a quitté l’organisme. « J’ai dit aux membres du conseil d’administration que je voulais juste faire l’intérim. Je ne savais même pas si j’avais les qualités pour faire de la gestion. Finalement, je suis encore là depuis ce temps. »
Encore une fois, les intervenants du PIPQ ont cru en elle et ils ne sont pas trompés. Geneviève Quinty s’est toutefois assurée de toujours avoir un œil sur ce qui se passe sur le terrain. « J’ai gardé le volet formation puisque je ne voulais pas juste gérer du monde et trouver de l’argent pour financer le PIPQ. Je voulais rester près de notre mission d’aider les travailleuses du sexe. J’avais peur que ça me transforme comme gestionnaire. Cette année, après 14 ans comme coordonnatrice, je me sens vraiment sur mon X. »
Une référence dans le milieu
C’est qu’elle est devenue une référence dans le milieu, tout comme l’organisme qu’elle représente. Le PIPQ a été invité à partager son expertise dans plusieurs forums sur l’exploitation sexuelle des mineurs. « On a rayonné au cours des derniers mois. Je suis tellement contente! On se bat pour ça, nous, les organismes communautaires, pour de la reconnaissance. »
La directrice a été invitée à donner son point de vue lors du colloque De la ruelle au virtuel : l’exploitation sexuelle et la prostitution juvénile en 2019 organisé par le CIUSSS de la Capitale-Nationale et la Table régionale de Québec en matière de prostitution juvénile.
Elle a parlé des méthodes de recrutement qui se sont raffinées pour les proxénètes, avec l’avènement des réseaux sociaux. Elle a martelé qu’il reste encore beaucoup de travail de prévention à faire auprès des parents et des garçons. D’ailleurs, le PIPQ a mis sur pied un groupe de soutien pour les parents dont l’enfant se trouve dans une dynamique d’exploitation sexuelle.
Geneviève Quinty a aussi fait des représentations devant la Commission spéciale sur l’exploitation sexuelle des mineurs. Elle a fait état des efforts constants déployés par son organisme pour venir en aide à un nombre croissant de personnes qui sont dans l’industrie du sexe dans la région de Québec. Plus de 600 d’entre elles reçoivent les services du PIPQ à l’heure actuelle.
Prochainement, elle sera du nombre des experts appelés à témoigner lors de la Commission Laurent. Dans chacune de ses interventions, elle prône l’approche collaborative, une approche qui est bénéfique pour tout le monde, selon elle.
« Le PIPQ est un leader dans l’approche collaborative. On exerce une influence positive dans le milieu. Nous travaillons en étroite collaboration avec le Centre jeunesse et le Service de police. Au départ, dans le milieu communautaire, il n’y avait pas cette alliance naturelle avec eux. »
Des femmes qui s’en sortent
« J’ai toujours voulu changer le monde, même si parfois, j’ai le sentiment de traverser le désert. » Mais elle ne baisse jamais les bras. La preuve, des histoires qui se terminent bien, il y en a. « La première femme avec qui j’ai créé un lien dans la rue, comme travailleuse de rue, elle m’appelle encore aujourd’hui. Elle va bien, elle est sur le marché du travail. Qu’elle m’appelle après toutes ces années, c’est du bonbon! »
Il y a aussi cette femme qui leur envoie des mots d’amour à la Saint-Valentin, pour leur dire comment elle apprécie le travail que les intervenants du PIPQ ont fait avec elle. « Elle a été recrutée dans les années 80 et s’est mise à danser. Aujourd’hui, elle est rayonnante et elle donne des conférences auprès des étudiants en Service social pour les aider à mieux comprendre le phénomène. »
Et il y a Loulou, sa belle Loulou, comme elle l’appelait affectueusement. Elle est décédée des suites d’un cancer. Elle l’a connue lors de son passage au Centre de détention de Québec. Elle avait fait de la prostitution de rue, elle était toxicomane et avait séjourné plusieurs fois en prison.
« À son retour en prison, je lui ai dit : “Loulou, est-ce que tu te donnes le droit au bonheur?” Trois ans plus tard, je l’ai recroisée au PIPQ. Elle m’a dit qu’elle se souvenait de cette phrase et qu’elle s’était donné le droit au bonheur. Elle a réalisé son rêve de petite fille qui était de devenir infirmière. Elle a dû se battre pour suivre son cours puisqu’elle était séropositive. Finalement, elle est devenue une excellente infirmière. »
La directrice s’estime chanceuse de pouvoir avoir ce contact vrai et humain avec les femmes qu’elle aide par l’entremise de l’organisme. « Elles me disent merci, mais je leur dis merci à mon tour, puisque j’apprends d’elles moi aussi. Il ne faut jamais sous-estimer le potentiel des gens qui ont un genou par terre. Ils peuvent se relever. » Une pensée qui résume toute la bonté qui émane de Geneviève Quinty.
Onde de choc après le meurtre de Marylène Lévesque
Mais toutes les histoires n’ont pas une fin heureuse. Le meurtre de Marylène Lévesque a semé une onde de choc dans la communauté des travailleuses du sexe. Geneviève Quinty est allée à leur rencontre pour prendre le pouls sur le terrain. L’intervenante estime que la situation est préoccupante.
« Ce qui a secoué les filles, c’est qu’elles se sont senties comme des femmes de moins grande valeur. Et c’est ça qui est le pire, ce regard jugeant. C’est ce qui fait le plus mal. La marginalisation de la prostitution amène la violence et repousse les filles dans la clandestinité et ça ne les encourage pas à dénoncer. »
Le PIPQ est déjà en mode action. L’organisme est en train de se mobiliser pour mieux les informer de leurs droits et aussi mieux les informer pour assurer leur sécurité. « On dit aux filles que peu importe le statut qu’elles ont, il n’y a rien qui justifie la violence. On leur dit aussi ce qui va se passer si elles décident de porter plainte. »
La place des femmes en 2020
« Ça m’a secoué le meurtre de Marylène Lévesque. J’ai le sentiment qu’il y a encore beaucoup de travail à faire avec nos garçons. Je me demande ce qui ne marche pas dans notre éducation. Pourquoi cette violence qui éclate face aux femmes? »
L’experte en matière d’exploitation sexuelle croit que les solutions passent par l’éducation, que ce soit avec des cours d’éducation à la sexualité ou encore des cours de civisme. Elle est d’avis qu’il faut agir en amont en montrant aux jeunes comment être en relation et leur enseigner l’importance de l’égalité homme-femme.
La bataille est loin d’être terminée et Geneviève Quinty le sait mieux que quiconque. « J’ai pensé souvent à changer d’emploi, mais je n’ai pas terminé au PIPQ. J’aime encore donner de la formation, j’aime inspirer les autres et les accompagner. J’ai appris de mes mentors autrefois, mais le vent tourne. Aujourd’hui, c’est moi qui deviens le mentor et je ne suis pas habituée à ça. »