Contrer le décrochage par le sport
Elle n’a que 25 ans et elle a déjà tout un parcours derrière elle. Il y a trois ans, Béatrice Turcotte Ouellet a fondé Le Diplôme avant la Médaille (DAM), un jeune organisme nouvellement soutenu par Centraide Québec et Chaudière-Appalaches. Elle a allié ses deux passions, le basketball et les jeunes, pour contrer le décrochage scolaire dans trois écoles secondaires de Québec. Son initiative personnelle fait de petits miracles avec des élèves en situation d’échec. Portrait d’une jeune femme qui s’implique activement auprès de la relève.
Ironiquement, tout a commencé par une blessure à la cheville. À 13 ans, Béatrice est une joueuse de basketball de talent à l’école secondaire De Rochebelle. Mais une blessure à la cheville la force à tout arrêter. Au lieu d’abandonner son sport, elle s’y consacre autrement en devenant entraîneuse à l’école primaire de son enfance. Puis elle décide de mettre ses talents de coach au profit des élèves issus d’un milieu moins favorisé. À 17 ans, elle fait le saut à l’École secondaire Vanier.
Désireuse de partager sa passion pour le basketball, Béatrice veut former de nouvelles équipes. Elle réunit les élèves au gymnase et leur demande de se regrouper selon leur niveau scolaire. Un jeune lui demande s’il faut se placer selon le niveau secondaire actuel ou celui dans lequel il devrait être. « Je me suis rendu compte que la moitié des élèves avait déjà doublé une année scolaire. Je me suis questionnée sur ce que je pouvais faire pour changer les choses. »
Le film Coach Carter, inspiré de l’histoire vraie de l’entraîneur de basket Ken Carter, lui revient en tête. Elle veut faire la même chose avec les adolescentes qu’elle entraîne chaque semaine. C’est ainsi que le concept du Diplôme avant la Médaille est né.
Réussir à l’école pour jouer au basket
L’idée est simple. Pour pouvoir avoir du temps de jeu, les élèves doivent faire des efforts en classe. Béatrice propose son concept à la direction de l’École secondaire Vanier, qui embarque dans l’aventure. Le projet débute en 2012 avec son équipe de basket de douze filles.
Mais les débuts ne sont pas de tout repos. Certaines sont réfractaires à l’idée de rester sur le banc si leurs résultats scolaires ne sont pas satisfaisants. Avec beaucoup de patience, Béatrice les amène à voir le bon côté des choses pour leur avenir. L’esprit d’équipe et le désire que tout le monde participe aux succès de l’équipe aidant, les adolescentes se prennent en main et vont aux périodes de récupération, au grand bonheur de Béa. C’est ainsi que ses joueuses la surnomme.
Mettre les garçons dans le coup
L’année suivante, l’entraîneuse désire tester son approche auprès de l’équipe des garçons de secondaire 3-4 et 5. Elle rencontre encore beaucoup de réticence. La majeure partie des garçons de l’équipe ont déjà doublé et ne sont pas habitués à être encadrés dans leurs études. Et le fait que Béatrice soit une fille à peine plus âgée qu’eux, elle n’a que 19 ans à l’époque, n’aide pas sa cause.
Mais elle tient bon et continue de croire en eux. Contre toute attente, ils remportent la médaille d’argent aux régionaux. Elle a enfin gagné leur respect. À partir de ce moment, Béatrice consacre ses énergies à entraîner uniquement l’équipe masculine de l’école secondaire Vanier.
Naissance d’un organisme à but non lucratif
En plus de se dévouer corps et âme au basketball, la jeune femme entame des études en Service social à l’Université Laval. C’est au moment de faire son stage qu’elle se rend compte qu’elle veut mettre toute son énergie sur son projet. Avec l’aide de mentors, elle fonde en 2016 l’organisme à but non lucratif Le Diplôme avant la Médaille, alors qu’elle n’a que 22 ans. « Je partais de rien, tout était nouveau pour moi. Je suis passée du terrain à l’administration des affaires. »’
Béatrice et son équipe mettent en place une structure pour bien encadrer et former les tuteurs bénévoles et les entraîneurs. Tout au long de l’année scolaire, ces bénévoles aident les jeunes athlètes dans leurs études chaque semaine.
Les tuteurs proviennent de divers horizons, des étudiants des cégeps et de l’Université Laval, des retraités et même d’anciens élèves de DAM. C’est dire leur attachement à Béatrice et au programme qu’elle a mis sur pied à bout de bras. Aujourd’hui, ils sont près de 80 tuteurs bénévoles.
Changer des vies par le sport
De belles histoires de réussite, Béatrice en a plein en tête. Elle se souvient d’une athlète qui avait de sérieuses difficultés dans son parcours scolaire à Vanier. Elle échouait dans plusieurs matières chaque année. Avec les bons soins d’une tutrice bénévole référée par DAM, cette élève a réussi tous ses cours, sans exception. Une relation de confiance et d’amitié s’est installée entre les deux femmes. À un point tel que la jeune athlète a invité sa tutrice à son bal des finissants. Aujourd’hui, cette jeune femme compte poursuivre ses études en criminologie à Ottawa.
Il y a aussi ce jeune homme très talentueux que Béatrice a coaché. Il a été recruté par des équipes de basket de haut niveau au cégep et à l’UQAM. Mais au départ, ce jeune homme n’avait pas de telles ambitions. « Il n’envisageait pas des études universitaires, mais il s’est trouvé un goût pour l’école à travers son sport. Je suis tellement fière qu’il se soit rendu là. » Les yeux de Béatrice s’illuminent lorsqu’elle relate cette anecdote.
Des statistiques éloquentes
Si les histoires de vie sont éloquentes, les chiffres le sont tout autant. Le taux de réussite des élèves qui sont passés par DAM est impressionnant. Près de 40% des élèves avaient déjà redoublé avant leur participation au programme. Ils ne sont plus que 11% après y avoir participé. Et neuf élèves sur dix qui ont été soutenus par DAM ont obtenu leur diplôme d’études secondaires ou poursuivent leurs études en vue de l’obtenir.
Le Diplôme avant la Médaille a réussi de beaux exploits à l’école secondaire Vanier. Le taux de décrochage est passé de 57% en 2010, un peu avant que ne débute le programme, à 27% en 2015. Béatrice est convaincue que DAM est l’une des composantes de ce succès. D’autres le pensent aussi.
Des appuis de taille
Régis Labeaume est l’un des premiers à avoir cru à l’initiative unique en son genre mise de l’avant par l’entraîneuse. DAM a reçu 50 mille dollars de la Fondation Jeunes en tête, une somme récoltée lors du Bal du maire de Québec. Philippe Couillard a lui aussi été charmé par le concept, à l’époque où il était premier ministre. Le gouvernement du Québec s’est intéressé de plus près au projet de Béatrice et le soutient financièrement depuis l’an dernier.
À cela s’ajoute l’apport de Centraide. DAM vient tout juste d’être sélectionné par l’organisation philanthropique. « Quand j’ai eu la nouvelle, je sautais partout! Ce que Centraide nous apporte, c’est une belle crédibilité, ça montre aux gens que nous sommes sérieux. Quand les autres bailleurs de fonds savent qu’on est soutenu par Centraide, ils sont impressionnés. Tout le monde sait que le processus de sélection des organismes associés à Centraide est très rigoureux. » La récurrence du soutien financier accordé par Centraide fait toute la différence pour un jeune organisme comme DAM. Cette aide permettra d’embaucher une conseillère en intervention à temps plein.
Même des sportifs de haut niveau se sont collés au projet. L’ancien champion du monde de ski, Alex Harvey, a accepté d’en être le porte-parole.
Le programme fait des petits
Depuis qu’elle a fondé Le Diplôme avant la Médaille, qui a pignon sur le Chemin Sainte-Foy à Québec, Béatrice en a fait du chemin. En plus de l’École secondaire Vanier, deux autres écoles y ont adhéré, la Polyvalente de Charlesbourg et l’École secondaire La Camaradière. Le basketball n’est plus la seule discipline sportive encadrée par DAM, puisque le soccer, le volley-ball et le hockey se sont ajoutés.
Son organisme pourrait bientôt faire des petits à l’extérieur de la région de Québec. Des écoles l’ont approchée pour exporter son concept. Elle veut prendre le temps de bien faire les choses, pour ne pas perdre l’essence même du projet.
Regarder vers l’avenir
Béatrice Turcotte Ouellet se voit encore longtemps au sein de l’organisme qu’elle a elle-même fondé. « Je crois en la justice sociale. Je veux que les jeunes aient droit aux mêmes perspectives d’avenir, quel que soit le milieu dans lequel ils sont issus. » Même si elle a de grandes ambitions, elle garde les deux pieds sur terre, et sur le terrain de basket! Elle est encore aux commandes de l’équipe masculine de basketball de l’École secondaire Vanier cette année.
Béatrice a de grandes ambitions, et lorsqu’elle a des doutes, elle regarde dans son rétroviseur. « Quand j’ai des moments plus difficiles, je regarde les photos que j’ai prises avec les jeunes que j’ai aidés et je me dis que certains ne seraient pas devenus ce qu’ils sont sans l’aide de DAM, et c’est ce qui me motive à continuer. Je suis fière d’être rendue là à 25 ans. » Elle a de quoi être fière. Le Diplôme avant la Médaille a soutenu douze adolescentes en 2012. Aujourd’hui, c’est 190 élèves qui bénéficient du programme. Et ce n’est qu’un début…