Se servir de son vécu pour aider d’autres jeunes
La vie d’Alison Paquet n’a rien de banal. Confrontée à la violence psychologique et aux dépendances de son père, elle a dû prendre sa vie en main quand elle était adolescente. Le Centre Solidarité Jeunesse a été son port d’attache. Elle s’y est fait des amis et a commencé à croire en son potentiel. Aujourd’hui, c’est elle qui accompagne les jeunes qui vivent des moments difficiles et qui fréquentent l’organisme que nous soutenons. Voici son histoire.
Originaire de Saint-Ferréol-les-Neiges, Alison Paquet voit sa vie basculer lorsque sa famille emménage à Québec à l’été de ses 10 ans. Sa mère demeure au foyer et le gagne-pain de son père n’est pas suffisant pour subvenir à leurs besoins.
« Nous vivions dans un certain seuil de pauvreté. On était serré dans les lunchs et les repas à la maison et malheureusement, on ne connaissait pas les organismes d’aide. »
Le quotidien n’est pas de tout repos au sein de la famille Paquet. Le père a une dépendance à la marijuana, à l’alcool et aux jeux. C’est sans compter sa violence psychologique, une violence qui ne laisse pas de trace physique, mais qui est tout aussi blessante.
« Mon père ignorait ma mère pour des riens. Si elle n’avait pas fait le ménage ou qu’elle n’avait pas fait le souper à une heure précise, il criait et renversait tout. Si on n’avait pas de bonnes notes dans certaines matières, on subissait sa colère. Ma sœur jumelle et moi, on avait peur de rentrer à la maison à cause des colères de mon père et du climat lourd qui y régnait. »
Une entrée au secondaire difficile
Le passage à l’école secondaire ne se fait pas sans heurts. Dans une grande ville comme Québec, Alison et sa jumelle n’ont plus de repères et aucun cercle d’amis. C’est sans compter le climat de tension qui règne à la maison et qui ne facilite pas leur réussite scolaire. Les deux adolescentes doublent leur secondaire un.
Au fil des mois, la situation familiale ne s’améliore pas. Alors que la mère d’Alison décroche un nouvel emploi, son père pique de plus en plus de colère. « Mon père a commencé à s’apercevoir qu’il était en train de perdre le contrôle sur ma mère. Ses crises étaient de plus en plus intenses et il faisait subir une certaine forme de violence économique à ma mère. »
Le Centre Solidarité Jeunesse pour l’épauler
C’est à cette époque, à l’âge de 11 ans, qu’elle découvre le Centre Solidarité Jeunesse et le projet L’Antre-Classe. Ce projet est déployé dans quatre écoles secondaires de Québec.
Il s’agit d’un milieu de vie, aménagé dans l’école, qui est dédié aux jeunes de première et deuxième secondaire. Avec l’aide des intervenants, les jeunes sont invités à participer à des projets et des activités en fonction de leurs besoins. Ce lieu est accessible avant ou après les heures de classe, sur l’heure du dîner et aux pauses. L’initiative vise à diminuer les risques de décrochage scolaire.
Pour Alison, c’est une véritable révélation. En plus de s’y faire de nombreux amis, c’est une source de réconfort.
« J’arrivais très tôt à l’école pour fuir de chez moi. Quand je venais à l’Antre-Classe, je me sentais bien et j’oubliais ce qui se passait à la maison. Personne dans mon entourage n’était au courant de ce que je vivais, ni mes amis, ni mes professeurs. Ma mère, ma soeur et moi, on était de bons acteurs. En apparence tout avait l’air de bien aller, mais ce n’était pas la réalité. »
Un nouveau départ
Finalement, la mère d’Alison décide de partir, mais la séparation ne se passe pas comme elle l’aurait souhaité. Comme son père se fait menaçant, Alison, sa sœur et sa mère décident de le quitter sur le champ et d’aller vivre dans une maison d’hébergement pour femmes.
« Ma mère nous a demandé ce qu’on voulait faire et on lui a dit qu’on voulait la suivre. Du jour au lendemain, on a quitté le domicile familial et on et n’a plus jamais revécu avec mon père ou passé plus de quelques heures avec lui. »
Les jumelles et leur mère restent quelques mois dans cet hébergement de transition, le temps de panser leurs plaies et se refaire une santé mentale pour repartir du bon pied.
« Nous y sommes demeurées pendant deux ou trois mois. Après, on nous a orientées vers une coopérative d’habitation à prix modique avec d’autres femmes. À ce moment, on a bénéficié de l’aide de plusieurs organismes communautaires. »
L’Antre-Classe pour aller mieux
Alison change d’école secondaire l’année après la séparation de ses parents. La bonne nouvelle, c’est qu’elle y retrouve le même service associé au Centre Solidarité Jeunesse. L’école Joseph-François-Perrault a elle aussi son projet Antre-Classe. Elle éprouve le même bien-être quand elle s’y rend.
« Les intervenants me montraient qu’ils étaient présents pour moi, sans nécessairement me parler de ma problématique avec mon père tout le temps. Ils faisaient la distinction entre mon vécu et ce que j’étais comme personne. Ils voyaient ma personnalité, mes passions et c’est ça que je trouvais enrichissant. Ça m’apportait un sentiment de sécurité. »
Lentement mais sûrement, la vie reprend son cours normal, loin du tumulte de son ancienne vie. En fréquentant l’Antre-Classe, elle se fait même un petit ami avec qui elle est encore aujourd’hui.
De personne aidée à intervenante pour les jeunes
Une fois le secondaire terminé, Alison sait ce qu’elle veut faire plus tard. Elle rêve d’aider d’autres jeunes comme elle. Après avoir complété sa technique en Travail social au cégep, le rêve devient réalité. Elle décroche un poste d’intervenante-coordonnatrice à l’Antre-Classe de l’école secondaire Joseph-François-Perrault, après y avoir fait son stage. L’adolescente qui venait chercher du réconfort est devenue celle qui tend la main aux autres jeunes.
Même si elle n’a que 21 ans, elle sait que son aide peut faire de petits miracles chaque jour. Elle en est la preuve vivante. Malgré une situation familiale empreinte de violence, malgré la séparation de ses parents et des échecs scolaires en secondaire un, elle s’est reconstruite et c’est en grande partie grâce au soutien des intervenants de l’Antre-Classe et du Centre Solidarité Jeunesse.
« Mes interventions sont teintées par mon vécu. Avec tout ce que j’ai vécu, j’aime écouter les jeunes, je ne les juge pas, je suis là pour eux. »
Lutter contre le décrochage scolaire
L’une des raisons d’être de l’Antre-Classe, c’est la lutte au décrochage scolaire.
« Pour les jeunes qui viennent nous voir, on comble un besoin, on les motive, on les aide à trouver des projets qui les stimulent. Notre but, c’est de développer un sentiment d’appartenance. Certains des jeunes qui éprouvent des difficultés à l’école n’ont aucun suivi avec d’autres intervenants psychosociaux, ils n’ont pas d’attaches nulle part. »
En plus de l’Antre-Classe, le Centre Solidarité Jeunesse a un autre projet pour contrer le décrochage scolaire: Passerelle. Les jeunes en situation de décrochage qui ont besoin d’aide bénéficient d’un enseignement personnalisé.
Des exemples de réussite
Des exemples de réussite, Alison en a plusieurs. Ce sont de petites victoires, de petits gestes qui ont un grand impact parfois.
« Il y a ce jeune qui voulait devenir policier, mais il avait de la misère à gérer sa colère, il se faisait intimider. Je lui ai donné des trucs, je lui ai dit que je croyais en lui, qu’il pouvait réussir. Aujourd’hui, il est en secondaire quatre, il a appris à gérer sa colère, il s’entraîne physiquement et il veut aller en Techniques policières. »
Il y a l’histoire de cet autre jeune qui rêve de devenir écrivain et illustrateur. « Il vient me voir pour avoir mes commentaires parce qu’il sait que j’aime faire du dessin. Je l’encourage, je vois son évolution, je vois qu’il prend confiance en lui. »
L’impact de la COVID-19
Quand on lui demande quels sont les impacts de la pandémie et du confinement sur les jeunes, Alison admet être préoccupée.
« Pour une bonne majorité des élèves, la situation actuelle est très difficile. Ils n’ont plus rien à faire, plus de sport, plus de parascolaire, plus le droit de voir leurs amis, c’est très lourd pour eux. Plusieurs me disent qu’ils sont tannés d’être à la maison, qu’ils ont de la misère à se concentrer, qu’ils sont démotivés. Ils se sentent seuls et isolés. » L’Antre-Classe est là pour eux. « On fait des projets avec eux pour les motiver. Sur l’heure du dîner, on joue à des jeux de société, on essaie de donner un peu de normalité. »
Centraide et son soutien essentiel
Si le Centre Solidarité Jeunesse a pu mettre sur pied des projets comme l’Antre-Classe et Passerelle, qui viennent en aide à 600 jeunes chaque année, c’est grâce à Centraide.
« Centraide est l’un de nos donateurs majeurs. Sans l’organisation philanthropique, on ne pourrait pas offrir ce service puisque nous n’avons pas beaucoup d’autres financements récurrents. On est vraiment fier de faire partie de la famille Centraide qui croit en notre mission et notre impact. »
Grâce au coup de pouce financier de Centraide au projet l’Antre-Classe, Alison a pu s’épanouir. « Si je n’avais pas eu l’Antre-Classe, je pense que je n’aurais pas eu d’amis, pas de réseau d’entraide, pas eu le sentiment qu’on croit en moi. On ne sauve pas des vies à l’Antre-Classe, mais on donne un souffle et une motivation. Ça m’a aidée à savoir qui je voulais être. »
Tournée vers l’avenir
Pour le futur, Alison entrevoit de belles choses pour elle et ses protégés. « Je veux continuer à croire en mes jeunes, je vois l’impact que j’ai sur eux. Mon souhait c’est de toujours être là pour eux, de déceler si ça ne va pas et de voir ce que je peux faire pour leur apporter mon soutien. »
Elle est infiniment fière du chemin qu’elle a parcouru. « Je ne l’ai pas eu facile, j’ai vécu dans la pauvreté, dans la violence et dans l’isolement. Mais je ne changerais pas mon vécu pour autant puisque je suis devenue la personne que je suis aujourd’hui. Je suis une intervenante significative pour bien des jeunes. Malgré les préjugés sur les personnes vulnérables, ce n’est pas vrai qu’on tourne mal. On est capable d’y arriver si quelqu’un croit en nous. »
Alors qu’elle entame sa deuxième année comme intervenante au Centre Solidarité Jeunesse, elle sait qu’elle va y demeurer longtemps. « Je compte y travailler encore plusieurs années, c’est un lieu de travail enrichissant et ça me stimule. Nous avons une équipe extraordinaire. Mes collègues ont déjà été mes intervenants, ils croyaient déjà en moi quand j’étais jeune et ils sont encore à mes côtés pour m’encourager. »
À 22 ans, elle peut dire qu’elle a trouvé le bonheur. « Je suis comblée dans ma vie, je ne peux être plus heureuse. Je n’aurais jamais pensé, alors que j’étais adolescente et que je vivais des moments difficiles, que je pourrais trouver mon bonheur. Et c’est ce que je dis à mes jeunes. Même quand ça ne va pas bien, il ne faut pas penser qu’on ne pourra jamais être heureux. » Elle en est le parfait exemple.
Merci Alison d’être une telle source d’inspiration pour nous tous et pour les jeunes.